Nietzsche dans la presse et les revues françaises en 1916


A propos de Nietzsche, M. Lasserre fait quelques réserves, mais il écrit courageusement:

Il y a en lui un moraliste qui ne le cède point à Schopenhauer, un merveilleux critique de littérature et de musique qui a entendu les lettres françaises avec une finesse dont aucun autre Allemand, depuis Goethe, n'avait donné l'exemple et dont nous pouvons tous tirer bien des lumières. Sa plus forte vertu, pour nous, c'est que ses explications sont spécialement admirables pour dégermaniser tes têtes françaises dont une imprégnation de pensée allemande aura plus ou moins profondément dissous la culture et troublé la santé. Le patriotisme n'est pas intéressé au contraire à ce que nous accablions d'insultes l'homme qui a un goût passionné pour ta civilisation de la France, qui éctata en sanglots quand il apprit l'incendie des Tuileries en 1871, et dont les monstruosités de conception et de formulaire sont moins d'un vrai monstre que d'un croquemitaine qui s'épouvante lui-même.

Henri Albert, "Pierre Lasserre. Le germanisme et l'esprit humain", in Mercure de France, 1er janvier 1916


Par sa théorie de surhomme, Nietzsche achève les destructions de Luther et de Kant il met l'homme au centre de tout le moral et l'immoral, le vrai et le faux, tout sera mesuré aux besoins ou plutôt aux impulsions d'une personnalité géniale. Et pour le Prussien, maître de l'Allemagne, le dernier mot de ses impulsions sera celui du grand héros de Nietzsche, Zarathoustra (...)

Qu'on lise ces trois études que l'on contemple ce triptyque infernal de Luther de Kant et de Nietzsche (...). Après cette lecture, l'on n'aura pas seulement saisi la mentalité allemande, l'on aura compris quel impérieux besoin c'est pour la France de se guérir des infiltrations allemandes et, comme dit l'auteur en terminant "de redevenir à la fois plus pleinement catholique et française".

L.P., "Un tryptique", [A propos du livre de l'abbé Paquier, Le protestantisme allemand: Luther, Kant, Nietzsche], in La Croix, 14 janvier 1916

Le surhomme, dominateur des générations prochaines, est, selon la conception de Nietzsche, une sorte de cuirassier blanc, grand bretteur et grand mangeur, musclé en Hercule, infatigable comme le Juif Errant, pillard comme Mandrin, se plaisant « à tailler, à trancher, à inciser », à détruire, vivant de la guerre « éducatrice du genre humain », — « la bonne guerre qui sanctifie toutes choses », — aimant le sang, impitoyable aux faibles, cynique, menteur, farouche, ne croyant à rien qu'à la vertu de son grand sabre et fier de se sentir une brute, « une superbe bête de proie blonde ». — Blonde est mis là pour bien montrer que le surhomme ne sera et ne peut être qu'un Germain.

G. Lenotre, "Le surhomme", in Le Monde illustré, 15 janvier 1916



« Si l'on considère la cuisine allemande dans son ensemble, que de choses elle a sur la conscience : les légumes rendus gras et farineux, l'entremets dégénéré au point qu'il devient un véritable presse-papier ! Si l'on y ajoute encore le besoin véritablement animal de boire après le repas, en usage chez les vieux Allemands, et non pas seulement chez les Allemands vieux, on comprendra ainsi l'origine de l'esprit allemand, de cet esprit qui vient des intestins affligés. L'esprit allemand est une indigestion. Il n'arrive à en finir avec rien. » (NIETZCHE) 1916

A UN JOURNALISTE

Monsieur,

J'ai reçu votre article et l'ai lu avec grand plaisir. Combien vous avez raison de ne point séparer la cause de ce Nietzsche de celle des autres "intellectuels allemands": s'il n'a point leur religion de la culture allemande, s'il en a même la haine, il a comme eux, et avec quelle furie la religion de la guerre et de la vie de proie.

Julien Benda, "Feuillets 1914-1915", in Mercure de France, 16 février 1916



C'est le titre d'une chanson satirique que Théodore Botrel, sur l'air de la Carmagnole, chanta, plusieurs mois durant, dans les casernes de France. Ce pourrait être aujourd'hui le nom de la mystérieuse maladie du Kaiser. Ou encore le nom de cette espèce de curiosité fébrile, amusée, et, pour tout dire, un peu enfantine, qui s'emparée du public français depuis quelques jours.

La Kaiseriole, voilà bien, en effet, l'appellation technique de cette épidémie légère de curiosité, de satisfaction, de confiance qui s'est emparée de nous tous, à l'idée que le "surhomme", je veux dire le surboche impérial allait peut-être rendre aux divinités infernales un dernier soupir empoisonné de cancer et de rage impuissante.

, "La "Kaiseriole"", in L'image de la guerre, février 1916


Pendant que, sur tous les fronts, les soldats se bombardent de tranchée à tranchée, les, civils de l'arrière, eux aussi, se lancent par- dessus les lignes de feu tous les projectiles qui leur tombent sous la main. Un des tirs les plus nourris est celui qui s'opère de bibliothèque à bibliothèque, à coups d'in-folios. Dans ces vastes arsenaux, les chercheurs viennent s'approvisionner de citations explosives et se les jettent furieusement à la tête. Les Allemands excellent à ce jeu puéril. La couverte d'une boutade de Voltaire ou de Flaubert sur les travers des Français de leur temps est célébrée par les artilleurs intellectuels de Berlin comme une victoire décisive. Ils la projettent chez nous au moyen du lance-bombe d'un journal et se félicitent bruyamment de nous avoir infligé un échec. Nous ripostons aussitôt nous avons plus de munitions que nos advertaires au moyen de fragments écrasants de Henri Heine ou de Nietzsche, et tout est à recommencer.

Cet exercice peu dangereux, renouvelé du Lutrin, de Boileau, ne mériterait pas de retenir notre attention s'il n'avait donné lieu récemment à une amusante erreur de pointage d'une batterie ennemie.

V., "Au jour le jour", in Le Temps, 3 mars 1916


Je ne parle que pour mémoire de Nietzsche et de sa ferveur «dionysienne », trop suspecte d'avoir été interprétée par une armée de reîtres d'une façon désastreuse pour nos caves. Nos très humbles pochards, qui ignorent cordialement Nietzsche et Platon, pratiquent d'instinct, sur ce point spécial, leur doctrine.

Auguste Dupouy, "Le zinc et l'alambic dans l'Ouest", in Revue de Paris, avril 1916



Vos confrères ont pu, avant de mourir, se remémorer quelques épisodes de ce conflit millénaire.

(...)  ils ont revu, dans la fumée des canons de Rosbach, le commencement de la morgue prussienne ils ont revu la rapide croissance de l'hostilité tudesque, la vive campagne des Lessing et des Herder contre les lettres françaises, les prétentions graduelles de l'esprit allemand au monopole du sérieux et de la profondeur, la révolte fomentée contre les règles et les disciplines de cet esprit méditerranéen dont Nietzsche s'efforcera vainement un jour de montrer à l'Allemagne la supériorité esthétique et rationnelle.

Discours du Président de la République le 3 mai 1916 pour l'inauguration du monument élevé à la mémoire des écrivains tombés au champ d'honneur, cité dans Le Temps du 4 mai 1916.

 

Dès que l'Allemagne, - et ce sont nos propres conclusions, - soucieuse de briser les alliances qui lui semblaient menacer son empire et borner ses ambitions, eut décider de recourir à la guerre, son premier souci devait être d'obtenir une décision rapide. Cette décision, elle ne pouvait l'espérer qu'en s'ouvrant, de gré ou de force, un passage par la Belgique, et nous n'avons point à chercher à cet acte grave, non plus qu'aux procédés de violence suivis par les chefs, d'autres raisons que la raison militaire (...)

La "Nouvelle morale" de Nietzsche n'a rien à faire en ceci. La volonté de domination du philosophe procédait de ce même esprit d'orgueil brutal qui réglait la politique prussienne. Ce Nietzsche qu'on a pu croire si novateur n'a fait que travestir en science douteuse et revêtir d'un charme romanesque les dures maximes qui flottaient dans l'air qu'il respirait.

Lucien Arréat, "H. L. Stewart. - Nietzsche and the ideals of modern Germany", in Revue philosophique de la France et de l'étranger, janvier-juin 1916



M. Raymond Poincaré a prononcé un discours remarquable à l'inauguration du monument des auteurs et compositeurs dramatiques morts au champ d'honneur. C'est un excellent morceau de critique comparée. Le président de la République apporte naturellement dans ces questions un tact et une mesure irréprochables, avec les connaissances les plus étendues. Il n'imite point, même pour les retourner contre eux, l'arrogance et l'iniquité des Allemands. Ce n'est pas lui qui s'avisera de nier Gœthe ou Schiller, d'incriminer Kant ou d'accabler Nietzsche. L'outrage aux hommes supérieurs des autres pays est un vice essentiellement tudesque, dont la contagion ne se répandra point dans une nation comme la nôtre, qui a le respect de l'intelligence et l'amour de la justice. Il est agréable de constater que le premier magistrat de la République française a parlé en digne représentant de l'esprit français. Etant si manifestement impartial en ces matières, il n'en a que plus d'autorité pour rétablir nos titres, et pour montrer que notre génie national a depuis des siècles rayonné sur le monde et exercé en Allemagne même une influence d'ailleurs reconnue par ce Gœthe et ce Nietzsche qu'un petit nombre d'exaltés, qui sont de grands maladroits, voudraient faire passer pour les maîtres du pangermanisme. Ce qui est vrai, au contraire, c'est que les meilleurs écrivains et philosophes allemands ont rendu hommage à la culture française et ont su en tirer profit, mais n'ont pas été suivis par leur peuple, qui les admire peut-être, mais assurément ne les comprend pas.

Paul Souday, "Sur un discours et plusieurs télégrammes", in Le Temps, 5 mai 1916


La Renaissance, 13 mai 1916
La Renaissance, 13 mai 1916


(...) maint citoyen d'Allemagne parmi les plus sincères, ne lui dissimulèrent point de rudes vérités.

Entre autres, le philosophe Nietzche, dont est si fier ce peuple d'outre-Rhin, par lequel jure toute une puissante école contemporaine de sa philosophie. Oublie-t-il donc que ce Nietzche, « citoyen de Rœken » mort, il y a tout juste cinq ans, écrivait:

« L'esprit allemand provient d'intestins encombrés : cette maladie intestinale suffit pour transformer un génie en quelque chose de médiocre, d'allemand, d'ailleurs le voisinage d'un Allemand suffit à empêcher ma digestion. »(...)

Ce qui n'empêchera pas les Boches, arrondissant le dos, d'être toujours orgueilleux de leur philosophe. Mais qui sait? Peut-être ne l'ont-ils pas absolument compris, car ainsi que tout véritable philosophe allemand, il est parfois nébuleux, ce bon Nietzche; et alors ne l'auront-ils point entièrement lu, jusqu'au bout.

Albert Meyrac, "Ce que pensait un philosophe allemand", in Le Rappel, 15 mai 1916

On a raillé l'étroite et mesquine intransigeance du vieux Caton, chassant de Rome, comme corrupteurs de la cité, les philosophes venus de la Grèce éblouir la naïveté romaine par une prestigieuse dialectique ; mais vraiment, qui eût banni du monde les Kant, les Nietzche, les Schopenhauer, et tous ces fauteurs de la perversion allemande, n'aurait-il pas sauvé l'humanité des horreurs déchaînées aujourd'hui ?

Peut-être. En général les choses ne sont mauvaises que par l'abus qu'on en fait, et il ne faut point proscrire le vin parce qu'il y a des ivrognes.

Traitement de la composition française du baccalauréat, in Comment enseigner. Bulletin pratique de Pédagogie secondaire, 1916



On nous a beaucoup parlé de «surhommes» en ces dernières années: en voici un, le plus simple, le plus grand et le plus vrai de tous. Il est là, à Verdun, pour tenir, pour garder son poste, pour briser l'effort de l'ennemi, pour faire toute sa tâche, tout son devoir. Il le fait. Il obéit tout ensemble à l'ordre de ses chefs, à l'appel du pays, à la voix de l'honneur, à l'instinct de vaillance qui est en lui, à l'entraînement contagieux de l'exemple qu'il donne tour à tour à ses camarades, à ses pairs, et qu'il en reçoit.

S., "Héros d'aujourd'hui", in Journal des Débats, 22 mai 1916

On a fait pour Nietzsche comme pour Wagner et pour d'autres: trop ignares pour rien connaître de sa pensée, certains l'ont traîné sur la claie en usant contre lui des injures les plus sottes. «Boche», a-t-on dit pour résumer. Et même celle-là n'est pas fondée. Car si le hasard a fait que Nietzsche naquit allemand, jamais dans son œuvre il ne fut «boche ».

"Le vrai Nietzsche", in L'Humanité, 17 mai 1916



Quand d'authentiques Allemands nous  montraient l'Allemagne telle qu'elle est, nous nous obstinions à la voir telle que nous l'imaginions.

Snobisme ? Légèreté ? Ignorance. ? Intérêt inavouable !

Oui, certes, mais aussi et surtout, absence de critique se plaçant au point de vue français, manque de discipline nationale et, - comme dit Edouard Hërriot, citant Lionce des Rieux. l'héroïque poète-soldat : « d'orgueil dans les esprits ».

En dépit de toutes ses « habiletés », l'Allemagne n'eût pas trompé la France, si tous les écrivains français eussent rempli leur principal office qui est la police de l'intelligence française.

Charles Briand, "Les avertissements de Nietzsche", in Le Rappel, 19 mai 1916

Voilà Gœthe, Hegel, Wagner et Nietzsche comparés à Bernhardi. En des temps anciens, M. Barrés, faisait cas des quatre premiers. Mais, plus récemment, il avait reproché aux admirateurs de Wagner et de l'antiwagnérien Nietzsche d'avoir « trahi la cause de la France ». On avait espéré quelques explications ou atténuations de cette phrase, pénible pour nombre de bons Français. Rien que sur Nietzsche, il y a des livres admiratifs de MM. Emile Faguet, Henri Lichtenberger, de Gaultier, Daniel. Halévy, Pierre Lasserre, qui ne passent point pour mauvais citoyens.

Paul Souday, "Maurice Barrès", in Le Temps, 14 juin 1916

(...) jusqu'à ces derniers temps, M. Johannes Joergensen aimait l'Allemagne et l'aimait assez tendrement. Avant de venir au catholicisme, il a subi l'influence de Goethe, celle de Heine, celle de ce Nietzsche, qui est Allemand, bien Allemand, quoiqu'on essaye maintenant de le dégermaniser, et qui est l'un des bons représentans de la mégalomanie allemande.

André Beaunier "Revue littéraire", in Revue des Deux Mondes, 15 juin 1916



Développement. - (...) Après la première canonnade, le monument n'était pas encore entièrement perdu, malgré son portail béant, ses portés incendiées, les débris des statues jonchant le sol ; mais les Barbares modernes achèvent leurs blessés, on le sait, et les achèvent par ordre. Ainsi a été consommée la destruction de la cathédrale de Reims dont il ne reste plus que des vestiges. Le voeu exprimé par Nietzche dans « Zarathustra » se trouve pleinement réalisé : « J'aimerai les églises et les tombeaux des dieux quand le ciel regardera d'un oeil clair à travers leurs voûtes brisées. J'aime à être assis sur les églises détruites, semblable à l'herbe et au pavot rouge. » .

"La Martyre de la grande guerre", in L'école et la famille, 1er juillet 1916


Ce que nous pouvons affirmer dès aujourd'hui, c'est que cette phase prochaine du féminisme ne sera ni américaine, malgré des points de ressemblance, ni « nietzschéenne », ni « ibsénienne ». Ces mots-là ne sont pas de chez nous. Elle sera française, déterminée par les caractères des hommes et des femmes de France.

Louise-Amélie Gayraud, "L'oeuvre féminine et le féminisme", in Revue hebdomadaire, 22 juillet 1916

Les conseils de Nietzsche sur l'existence heureuse, les gens de la zone militaire les mettent d'instinct en pratique. Où, en effet, a-t-on jamais vécu d'une manière plus périlleuse? Et où, en même temps, a-t-on vécu avec une gaieté plus intense ?

Gomez Carillo, "Sur le front britannique. Visions des Flandres", in Le Gaulois, 24 juillet 1916



La législation scolaire autorise emcore partout en Allemagne l'emploi des châtiments corporels. même pour les filles!

Une telle kultur scolaire produit évidemment des phénomènes, des âmes sans pitié et féroces. Les préceptes des philosophes en sont le couronnement et le surhomme en est la « résultante » ultime.

«Le surhomme, dit Nietzsche, n'a qu'un but : triompher. Peu importent les victimes laissées sur la route. Il crée sa vérité, il crée sa morale, il est par-delà le bien et le mal. Ayons le courage, ajoute-il, de ne pas retenir ceux qui tombent, mais de les pousser pour qu'ils tombent plus vite. Le sage doit non seulement supporter la vue de la souffrance d'autrui, - il sait faire souffrir sans se soucier de l'idée des torturesse débat sa victime. »

Voilà la résultante ultime de longs atavismes (...) de la kulture ! le Surhomme - un peuple de Surhommes c'est-à-dire d'individus qui, dressés à coups de trique, veulent kulturer le monde entier à coups de canons.

Louis Reys, "La Kultur", in La Lanterne, 11 août 1916

Nous plaçons, cette semaine, sous vos yeux, de tristes images: des vues de la malheureuse Arras, qui n'est qu'une ruine et de Lille, moins abîmée, mais plus misérable, puisqu'elle agonise sous le talon prussien. Le récit des persécutions barbares dirigées contre les habitants de cette ville, nous a indignés, mais ne nous a pas surpris. Il fallait s'y attendre. (...)

Je suppose quel les Français, qui se proclamaient nietzschéens avant août 1914, vomiront désormais le nietzschéisme. Il aura fallu, pour les guérir, que le sang des martyrs coulât à flots. Maintenant, la preuve est faite. L' acte teuton, la pensée teutonne se tiennent étroitement et dérivent l'un de l' autre.

Le Bonhomme Chrysale, "La terreur", in Annales politiques et littéraires, 13 août 1916



Un lieutenant du 108e nous a raconté un mot simple et admirable d'un de ses Poilus.

Le régiment ailait en première ligne. Mais il savait qu'en arrivant il devait attaquer un régiment bavarois. En passant dans un petit village fortement amoché, d'autres soldats demandent:

allez-vous, les gas ?

Nous allons relever les Bavarois, répond le poilu dit 108e.
Et le 108e à relevé, en effet, si bien le régiment bavarois que les nôtres tiennent depuis toutes les tranchées qu'occupaient ces Surboches-là.

"Echos et nouvelles du front", in Le Front, septembre 1916


On a cité bien souvent l'opinion de Nietzsche sur ses compatriotes et en particulier sur les cuistres des universités allemandes de son temps, dont l'orgueil insolent annonçait déjà l'apostolat prétentieux et lourd des « intellectuels » teutons d'aujourd'hui.

Mais on avait oublié une perle que vient de découvrir dans ses œuvres M. Henri Welschinger. Parlant des premiers champions de la Kultur, Nietzsche raille « ces coqs savants qui, placés devant un miroir, échangent avec leur image des regards admiratifs ».

Continuons de feuilleter Nietzsche.

Le masque de fer, "Echos", in Figaro 23 octobre 1916

Au milieu de l'actuelle tempête, nous tous « ceux de l'arrière et ceux du front, philosophes humanitaires, apôtres de la justice et du droit des peuples », écrit dans la Dépêche, M. Octave Uzanne, nous espérons que l'effroyable tragédie guerrière se terminera par la venue d'une douce paix et même d'une paix permanente « et non un temps d'arrêt, un entr'acte, un intermède précédant d'autres jeux de scène aussi épouvantables sur le théâtre d'intrigues de l'Europe centrale ».

Octave Uzanne, "Nietzsche et la guerre" cité par R. de Bury dans {Les journaux}, in Mercure de France du 16 novembre 1916



La guerre, qui a appris aux Français à se mieux connaître, leur apprendra-t- elle à mieux connaître l'Allemagne ? Depuis deux ans, toute une littérature s'y est ingéniée, un peu tard ! A chaque invasion nouvelle, la France se réveille et s'écrie : « Quoi ! C'est l'Allemagne, l'Allemagne de Schiller et de Gœthe ! »

(...) L'Allemagne agit au nom de l'Eternel. Elle doit exterminer le mal et elle fait le mal pour réaliser le bien. Chaque philosophe, chaque historien ajoute à la doctrine quelque formule nouvelle. Fichte avait dit : « allmann, tout l'homme » ; Hegel exige pour l'État, « vénéré comme un Dieu », l'obéissance absolue et regarde la guerre comme une nécessité morale ; Treitschke soutient que le plus haut devoir de l'État est de développer sa puissance, même au pris des traités ; Nietzsche préconise la sélection par la force et crée le « surhomme»; Lamprecht invente l'Etat « tentaculaire » (d'où la loi Delbrück sur les naturalisations) ; et les généraux, de Clausewitz à Bernhardi, apprennent aux soldats que, plus la guerre sera féroce, plus elle sera humaine, parce que plus courte. Formidable arsenal de sophismes ! Artillerie non moins redoutable que l'autre !

Paul Deschanel, "Les commandements de la patrie", in La "Grande Guerre" par les grands écrivains, 5 décembre 1916


Ce n'est point aimer la France que de nourrir de l'indulgence pour ses bourreaux. Le prix Nobel décerné au teutonisant Romain Rolland pour son Jean Christophe, type teutonique, ne doit pas nous impressionner. Au-dessus de la mêlée, il n'y a que des traîtres! Il faut être aussi fou que Nietzsche pour trouver quelque chose au delà du bien et du mal, qui sont les éternelles colonnes d'Hercule du monde moral.

Péladan, "Exposition du germanisme contemporain", in Revue hebdomadaire, décembre 1916

Conférences. M. le chanoine Gaudeau, église de la Madeleine, à 3 heures. Diinanche 24 décembre : "La guerre et la béatitude des miséricordieux de Jésus à Nietzsche" annoncée dans La Croix, 24 décembre 1916