Bibliographie inédite des publications sur Nietzsche 1868-1940 (Laure Verbaere et Donato Longo)

1919-1940: BIBLIOGRAPHIE ET COMMENTAIRES DE DONATO LONGO

 

(en savoir plus)

1919


Ouvrages sur Nietzsche


LA MENARDIERE, A propos de la Grande guerre. Vol 1: Les prophètes: Balzac, Dumas fils, Hugo, Nietzsche, Paris, H. Leclerc, 1919.

A propos de la Grande guerre est une monographie de 36 pages. L’image de Nietzsche dans l’ouvrage est celle d’un écrivain étranger dont les écrits ont contribué à l’atmosphère de guerre entre la France et l'Allemagne. -[Don Longo, 2014]

 

SPIESS Camille, Nietzsche contre la barbarie allemande, Paris, Ed. de la Revue contemporaine, 1919.

Nietzsche contre la barbarie allemande parut d’abord en forme d’article dans la Revue contemporaine de Paris, dans le numéro de juin-août 1918; l’article fut réédité en plaquette en 1919. Dans l’ouvrage, Spiess reprend les idées déjà énoncées dans Impérialismes: la conception gobinienne de la race: sa valeur au point de vue bio-psychologique (Paris, E. Figuière et Cie): prenant la défense de Nietzsche, il condamne le « machiavélisme de Bismarck », le « patriotisme matériel », la « folie nationale » et la « politique stérile » de l’Allemagne, son « esprit débile » et l’ « anarchie [de ses] valeurs intellectuelles ». Selon lui, Nietzsche avait discerné très tôt que l’Allemagne était une société en dégénérescence raciale, politique et culturelle, une société « judaïsée ». -[Don Longo, 2014]


Ouvrages qui évoquent Nietzsche


CLERMONT LouiseEmile Clermont, sa vie, son œuvre, Paris, Grasset, 1919, avec une préface de Maurice Barrès. [L.V.]

Nombreuses allusions à Nietzsche qui a eu une "influence considérable" sur Emile Clermont à certains moments de sa vie. 

 

RIVIERE Joseph, La vie, caractère et pensée de M. Camille Spiess, Paris, Figuière, 1919.

Rivière fut l’ami de Camille Spiess dont il partageait les idées. Son livre est une sorte de biographie hagiographique de Spiess, écrite en avril 1918 et publiée l’année suivante. Très peu d’exemplaires du livre furent tirés.

Rivière écrit en détail à propos de l’influence de Gobineau et de Nietzsche sur Spiess: « L'originalité de Camille Spiess est d'avoir fait la psycho-synthèse, non par combat mais par accord, d'avoir sexualisé, par sa conception du Troisième Sexe, le Fils de roi de Gobineau, le Surhomme de Nietzsche, le saint de Wagner, l’homme tragique de Schopenhauer, le héros de Carlyle, de Shakespeare et de Dostoïewsky, qui sont les Représentative Men d'Emerson, d'avoir en un mot, étudié le problème sexuel dans toute sa généralité ethno-anthropo-mytho-bio-psychique. » (p. 54). L’ouvrage contient des extraits du livre de Spiess, La Vérité sur F. Nietzsche (1910). La deuxième partie de l’ouvrage est faite d’extraits de comptes rendus des ouvrages de son ami. Un « Appendice » contient le texte d’un compte-rendu des Impérialismes, par Georges-Alexis Montandon de Lausanne. Il est intéressant de constater que Montandon (1879-1944), médecin, anthropologue raciste et explorateur, patriote français comme Spiess, fut aussi ethnologue au Musée de l'Homme et un adepte du racisme scientifique pendant l’entre-deux-guerres. Il fut amené à Gobineau et à Nietzsche par les écrits de Spiess. Il fut tué par la Résistance en tant que collaborateur. -[Don Longo, 2014]


Le nietzschéisme dans la littérature


FAURE Elie, La roue, Paris, G. Crès, 1919.

Roman.

La roue, le seul roman dans l’œuvre de Faure, a paru d’abord dans la Grande Revue en octobre 1918 et janvier 1919; l’ « Introduction » et le « Dialogue sur le grand chemin » avaient paru en 1918 dans le périodique, La Forge, la revue littéraire socialisante de Luc Mériga. Le roman est une autre méditation sur la guerre (cf. La sainte face) conçue comme un événement aussi terrible que créateur: « la guerre […] n’est qu’un paroxysme de la vie ». Le nom de Nietzsche n’apparaît pas dans le roman mais les thèmes nietzschéens sont aussi présents ici que dans La sainte face. -[Don Longo, 2014]

 

LESUEUR DanielNietzschéenne, Paris, Plon, 1919. [L.V.]

Nouvelle édition (voir 1908) avec une nouvelle préface (publiée dans Le Gaulois du 18 octobre 1919) et des citations de Nietzsche pour la France, contre l'Allemagne.


Articles sur Nietzsche


VERNE Maurice, "Whitmanisme, efficience et nietzschéisme ou des idéaux de la démocratie victorieuse", in L'information financière, économique et politique, 2 janvier 1919, p. 3. (L.V.)

BRUNET Gabriel, "Une énigme. Nietzsche et la guerre", in Mercure de France, tome 131, n°495, 1er février 1919, p. 385-406.
Dans cet article, Brunet relève le paradoxe au cœur de la pensée nietzschéenne: Nietzsche aime la guerre autant qu’il déteste les positions nationalistes, et surtout le nationalisme de l’Empire allemand. Selon Brunet, la guerre chez Nietzsche avait une valeur de « symbole » de « l’affirmation de la vie… » (p. 393); en plus « Si Nietzsche fait l’apologie de la guerre, c’est donc uniquement parce qu’elle est capable de tremper les caractères individuels » (p. 391). Pour Brunet Nietzsche est l’ami du « génie » français et l’ennemi du militarisme allemand qui lui « répugnait » (pp. 405-406). Le Nietzsche de Brunet est le « Nietzsche français ». -[Don Longo, 2014]

Anonyme, "A propos de "Nietzsche et la guerre"", {Echos}, in Mercure de France, tome 132, 1er mars 1919, p. 183-186.

Il s’agit ici d’une lettre reçue par le Mercure de France sur l’article de Gabriel Brunet. La lettre soutient la position de Brunet: « nul plus que [Nietzsche] n'a eu en horreur et le militarisme à l'allemande et les conséquences pratiques de la guerre, conduite à l'allemande. » Pour cet auteur, comme pour Brunet, la France était la vraie patrie spirituelle du philosophe. -[Don Longo, 2014]

 

BRUNET Gabriel, "Une lettre de M. Gabriel Brunet", {Echos}, in Mercure de France, 1er avril 1919, p. 571-573. [L.V.]

Publication d'une lettre de Gabriel Brunet du 5 mars 1919 dans le prolongement de son article sur Nietzsche et la guerre (Mercure de France du 1er février 1919) et de la lettre publiée dans le Mercure de France du 1er mars 1919. Observations pour "bien montrer que Nietzsche s'oppose à l'Allemagne par sa conception hellénique et française de la culture et par sa haine pour la brutale conception prussienne de l'Etat" (p. 573).

 

ROLLAND Léonce, "Quelques préjugés sur Nietzsche", in Demain, n°65, 3 avril 1919, p. 389-392. [L.V.]

 

LESUEUR Daniel, "Sur une édition nouvelle de Nietzschéenne. Une préface inédite de Mme Daniel Lesueur", in Le Gaulois, 18 octobre 1919, p. 3. [L.V.]

 

Anonyme, "Annexion", {Lettres et Arts}, in Le Cri de Paris, 1er novembre 1919, p. 10. [L.V.]

Se moque: "Mme Daniel Lesueur n'écrivit rien pendant la guerre. Ce qu'elle fit doit pourtant compter dans ses œuvres complètes autant que ses meilleurs récits, elle se consacra tout entière au Denier des Veuves des Ecrivains.

Maintenant que la victoire est venue, elle réalise, à sa manière, une glorieuse annexion. Elle s'empare de Nietzsche.

Naguère elle avait publié: Nietzschéenne. Elle donne une nouvelle édition de ce beau roman, et, dans quelques pages de préface, elle prouve clair comme le jour que l'auteur de Zarathustra n'avait pas mérité la honte d'être Boche, mais l'honneur d'être Français.

Ainsi soit-il ! Peut-être devrait-on ajouter au traité de paix une clause sur l'annexion de Nietzsche par Mme Daniel Lesueur."

 

STROWSKI Fortunat, "Nietzsche et le stoïcisme français à propos de «Nietzschéenne»", in La Renaissance, 8 novembre 1919, p. 12-13. [L.V.]

A propos du roman de Daniel LesueurNietzschéenne (1908) réédité en 1919. Sur l'influence de Guillaume du Vair.


ArticleS qui évoqueNT Nietzsche


MURET Maurice, "Souvenir de Weimar", {Au jour le jour}, in Journal des Débats, 17 février 1919, p. 1. [L.V.]

D'après des notes de 1910, raconte son passage à Weimar, sa visite au Nietzsche-Archiv et sa rencontre avec la sœur de Nietzsche. Se moque.

 

SAINT-CLAIR Camille, "Quelques influences étrangères. Causes et Eléments de la Décadence", in Feuilles au vent, 1er avril 1919, p. 12-19. [L.V.]

Sur Nietzsche (p. 15-16). Note : "L’Allemagne nous a envoyé aussi ses forces de décadence. L’Orient tendait à annihiler la volonté, et voici qu’une voix germanique a prêché le surhomme: « Voici donc le sauveur! Ont pu s’écrier ceux qui n’avaient pas encore écouté les paroles rythmées de Zarathoustra. (...)" (p. 15)

Et conclut: "En vain, Mme Daniel Lesueur, dans son livre Nietzschéenne, essaya-t-elle d’élever un peu la conception du surhomme : la masse des littérateurs l’ont comprise à leur façon, c’est-à-dire très bassement.

L’Allemagne nous versait son poison moral et littéraire. Le génie français s’obscurcissait. Le nietzschéisme fut en réalité le déchaînement de toutes les passions approuvé, la ruée de tous les appétits autorisée" (p. 16).

 

BARRES Maurice, "Les Fils de Noé", in L'Echo de France, 2 avril 1919, p. 1. [L.V.]

A propos de Victor Hugo: "Ce n’est pas le lieu d’ouvrir un débat sur la valeur pratique des doctrines que le poète élaborait en n’écoutant que son âme. On ne pourrait s’en expliquer en quatre lignes. La tourmente où viennent de se perdre les fils de Tolstoï, ce Hugo du Nord, nous montre les limites d’une philosophie sociale qui, pour améliorer le dessus, lui substitue le dessous. Les Misérables et la Légende ne peuvent pas donner des lois à la société; elles peuvent

donner des conseils aux âmes éternellement tentées de s’endormir dans un terre à terre grossier. C’est bien qu’il y ait des chefs-d’œuvre qui se dressent pour nous dire de n’être pas inhumains, et j’ai horreur du « Soyons durs » de Nietzsche."

 

SOUDAY Paul"Les livres", in Le Temps, 4 mai 1919, p. 3. [L.V.]

Compte-rendu de Jean CocteauLe Coq et l'Arlequin (1918) qui évoque Nietzsche et Wagner.

 


GIDE André, "Réflexions sur l'Allemagne", in Nouvelle Revue française, 1er juin 1919, p.35-38. [L.V.]

Evoque et désapprouve les attaques contre Nietzsche pendant la guerre.

"(...) Comme si notre cause, pour paraître bonne, avait besoin d'être fardée ! Comme si la vérité n'était pas plus encourageante, plus probante, plus bienfaisante que tous les mensonges ! Mais pour peu qu'elle paraisse gênante, on la contourne ; et ce faisant on se l'aliène, tandis qu'elle

venait à nous comme une amie qu'il eût suffi de mieux

comprendre.

Et comment ne comprenez-vous pas, vous qui voulez

rejeter tout de l'Allemagne, qu'en rejetant tout de l'Allemagne vous travaillez à son unité ?

Quoi ! nous avions un Goethe en otage, et vous le leur

rendez !

Quoi ! Nietzsche s'engage dans notre légion étrangère,

et c'est sur lui que vous tirez !

Quoi ! vous escamotez les textes où Wagner marque

son admiration pour la France ; vous trouvez plus avantageux de prouver qu'il nous insultait !

Nous n'avons nul besoin, dites-vous, des applaudissements d'outre-Rhin.

Comment ne comprenez-vous pas qu'il ne s'agit pas

de ce que ceux-ci nous apportent, mais bien de ce que

ceux-ci leur enlèvent. Et cela n'est pas peu de chose, si

c'est l'élite du pays" (p. 36).

Cela n'est pas peu de chose, — tandis que le meilleur

de la pensée de la France, que toute la pensée de la France travaille et lutte avec la France, — que le meilleur de la pensée allemande s'élève contre la Prusse qui mène

l'Allemagne au combat.

Nous avons dans notre jeu les atouts les plus admirables, mais nous ne savons pas nous en servir.

Rien ne peut être plus démoralisant pour la jeunesse

allemande pensante (et tout de même il y en a) que de ne

pas sentir Goethe avec soi — (ou Leibniz, ou Nietzsche).

— On se rend mal compte en France, où nos grands écrivains sont si nombreux et où nous les honorons si mal, de ce que peut être Goethe pour l'Allemagne. Rien ne peut lui faire plus de plaisir, à l'Allemagne, qu'une thèse comme celle de M. B... qui déjà découvre dans le Faust l'invitation à la guerre actuelle. Ce qu'il y a de rassurant pour nous dans cette thèse, c'est qu'elle est absurde. Ce qui peut, au contraire, désoler la jeune Allemagne pensante, c'est de sentir que cette guerre monstrueuse où on l'entraîne, Goethe ne l'aurait pas approuvée, non plus qu'aucun des écrivains d'hier qu'elle admire. Il est sans doute flatteur, capiteux même, de se dire et de s'entendre sans cesse répéter que le peuple dont on fait partie est désigné pour gouverner la terre ; mais si ce sophisme est par avance dénoncé par les plus sages de ce peuple même, est-il adroit de notre part de traiter ces sages de brigands, d'imposteurs ou de fous ?

L'écrasement de l'Allemagne ! J'admire si quelque

esprit sérieux peut le souhaiter, fût-ce sans y croire.

Mais diviser l'Allemagne, mais morceler sa masse

énorme, c'est, je crois, le projet qui rallie les plus

raisonnables, c'est-à-dire les plus Français d'entre

nous. Il n'importe pas de l'empêcher d'exister (au contraire : il importe, et même pour nous, qu'elle

existe), il importe de l'empêcher de nuire, c'est-à-dire

de nous manger... Diviser l'Allemagne ; et pour la diviser,

la première chose à faire, c'est de ne pas mettre tous

les Allemands dans le même sac (et si vous affirmez

qu'au fond tous se valent, faites attention qu'alors c'est

que vous croyez le départ entre eux impossible, et qu'ils

n'accepteront pas, eux, si vraiment ils sont si semblables,

cette division que vous voudriez leur imposer). Combien

ne sont-ils pas plus habiles ceux qui, dès aujourd'hui,

démêlant parmi l'Allemagne moderne l'idée prussienne

comme un virus empoisonneur, excitent contre cet

élément prussien l'Allemagne même et, au lieu de

chercher dans Goethe des armes contre nous, lisent

ceci par exemple (l'a-t-on déjà cité ? je ne sais) dans ses

Mémoires :

« Au milieu de ces objets, si propres à développer le

sentiment de l'art (il visite Dresde), je fus attristé plus

d'une fois par les traces récentes du bombardement.

Une des rues principales n'était qu'un amas de décombres

et dans chaque autre rue on voyait des maisons écroulées. La tour massive de l'église de la Croix était crevassée ; et quand, du haut de la coupole de l'église de

Notre-Dame, je contemplais ces ruines, le sacristain

me disait avec une fureur concentrée : « C'est le Prussien

qui a fait cela. »

Goethe et Nietzsche (et à de moindres degrés plusieurs

autres) sont nos otages. Je tiens que la dépréciation

des otages est une des plus grandes maladresses à quoi

excelle notre pays."

 

Cette publication suscite quelques réactions, notamment celle de Paul Souday dans Paris-Midi.


 

 

SOUDAY Paul, "A la Nouvelle Revue Française", in Paris-Midi, 6 juin 1919, p. 3. [L.V.]

A propos de l'article d'André Gide, "Réflexions sur l'Allemagne" (juin 1919): "(...) il ressort que M. André

Gide, qui passait dernièrement pour rallié à la cause du trône et de l'autel, n'a décidément pas la vocation de l'orthodoxie. Il se permet d'attaquer un certain M. B..., c'est-à-dire M. Boutroux, qui a été proclamé tabou et dont on ne peut plus discuter la moindre affirmation nouvelle, même en s'appuyant pour cela sur ses conclusions anciennes, sans être aussitôt taxé de bochophilie ou de philobochie, à votre choix.

J'ai maintes fois essayé de démontrer que certaines théories émises depuis cinq ans par l'éminent philosophe et par ceux qui le suivent étaient non moins contraires à l'intérêt français qu'à la vérité des faits et des textes. On comprendra donc que je n'aie pas lu sans une réelle satisfaction ces lignes de M. André Gide : « Rien ne peut lui faire plus de plaisir, à l'Allemagne, qu'une thèse tomme celle de M. B..., qui déjà découvre dans le Faust l'invitation à la guerre actuelle. Ce qu'il y a de rassurant pour nous dans cette thèse, c'est qu'elle est absurde. Ce qui peut, au contraire, désoler la jeune Allemagne pensante, c'est de sentir que cette guerre monstrueuse, Goethe ne l'aurait pas approuvée, non plus qu'aucun des écrivains d'hier qu'elle admire. »

Et M. André Gide insiste sur cette l'injustice et cette faute de mettre dans le même sac tous ces Allemands, que l'on déclare vouloir diviser. Je l'ai dit moi-même souvent : s'il était vrai que Goethe, Kant, Hegel, Schopenhauer, Wagner, Nietzsche, fussent d'accord avec Bernhardi et Bethmann-Hollweg, ce serait désastreux pour nous, attendu que les neutres et tout le monde pensant en conclueraient qu'abrités sous de tels patronages ces pangermanistes ne devaient pas avoir entièrement tort.

Par bonheur, ce n'est pas vrai. Les grands penseurs allemands ne couvrent pas ces meneurs de guerre mais les condamnent à fond. C'est pourquoi M. André Gide s'écrie : « Quoi! nous avions un Goethe en gage, et vous le leur rendez? ! Quoi Nietzsche s'engage dans notre légion étrangère et c'est sur lui que vous tirez ! Quoi ! vous escamotez les textes où Wagner marque son admiration pour la France : vous trouvez plus avantageux de prouver qu'il nous insultait ! ... » Et M. André Gide ajoute encore : « Goethe et Nietzsche (et à de moindres degrés plusieurs autres) sont nos otages. Je tiens que la dépréciation des otages est une des plus grandes maladresses à quoi excelle notre pays. »

Non, pas tout notre pays, mais certains hommes de parti, et d'autres, qui flattent les partis, par ambition de popularité. Il y avait un intérêt français, en même temps qu'un intérêt de vérité, à montrer que Goethe, Kant, Nietzsche ont admiré et aimé la France, détesté l'esprit prussien et pangermaniste. Mais il y avait un intérêt de parti à démolir Goethe, Kant et Nietzsche, qui sont en horreur, non sans raison, à tous les cléricaux et cléricalisants.

Ces dernières remarques ne sont pas de M. André Gide, et peut-être n'y souscrirait-il pas, car il garde volontiers des ménagements et semble redouter les polémiques. Il n'en a eu que plus de mérite à écrire les lignes décisives que j'ai citées. Maladresses ou manœuvres, les opérations tendant à présenter Kant, Goethe et Nietzsche comme des Boches et des maîtres du bochisme étaient des absurdités : sur ce point, qui est l'essentiel, M. André Gide s'avoue publiquement d'accord avec les défenseurs de la liberté intellectuelle, de l'esprit critique et du patriotisme clairvoyant. Cela est à son honneur".

 

GIDE André, "Journal", in Nouvelle Revue française, 1er juillet 1919, p. 284-286.

Dans son Journal de 1919, Nietzsche reste ce qu’il était en 1902, c’est-à-dire le prophète d’une « grande réforme morale ». Son « déséquilibre » psychologique, dit Gide, n’était que le drame intérieur de cette réforme: « c’est précisément dans la folie de Nietzsche que je vois le brevet de son authentique grandeur » (p. 286). -[Don Longo, 2014]