Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940
(Laure Verbaere et Donato Longo)
Evêque français, directeur à Saint-Sulpice et à l'Institut catholique de Paris, Albert Farges est docteur en philosophie et en théologie. Supérieur du Séminaire de l'Institut catholique d'Angers, il obtient un prix de l'Académie française en 1903.
FARGES Albert, La liberté et le devoir: fondements de la morale et critique des systèmes de morale contemporains, Paris, Berche et Tralin, 1902.
Huitième et dernier tome d'un Cours complet de philosophie.
Contient une section intitulée "L'anti-pessimisme de Nietzsche" (p. 453-461).
Conclut: "Comme on le voit, Nietzsche, après avoir fait des vœux surhumains pour une élite d'intellectuels, est empêché d'en faire même d'humains pour la masse des hommes. Pour elle, il demeure pessimiste: point de progrès ou de relèvement possible, ni même désirable. Son « aristocratie », n'est pas une « fonction » sociale, c'est un but et une « fin en soi ». C'est pourquoi, nous dit-il, « elle accepte avec une conscience tranquille le sacrifice d'hommes innombrables, qui, pour son profit, doivent être déprimés, et réduits à l'état d'hommes incomplets, d'esclaves, d'instruments ». A eux la « morale des esclaves », à nous la « morale des maîtres ».
Conclusion. Inutile de multiplier ces citations qui montrent jusqu'à l'évidence que Nietzsche n'est pas un pacifié, mais un révolté contre Dieu, contre la loi éternelle du bien et du mal, contre la société et l'humanité. Sa morale ne peut être appelée de ce nom, que par antiphrase: lui-même en convient, car il se vante d'être « immoraliste » et « iconoclaste de toute moralité ».
Après cela, toute réfutation d'une telle morale paraîtra inutile, et ce serait lui faire trop d'honneur(1). Elle a plutôt besoin d'une excuse, celle d'avoir été conçue par un génie aigri et en démence, déjà atteint du germe de ce mal incurable, qui devait profondément humilier et châtier son orgueil, en démontrant, par un éclatant et douloureux exemple, qu'il n'y a pas de surhomme qui soit affranchi des misères humaines, ou au-dessus des lois de la contingence (2)." (p. 460-461)