Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940
(Laure Verbaere et Donato Longo)
JEANNINE B., "Un moraliste à rebours", in Nouvelle Revue 76, 1892, p. 551-563.
"Tout le monde, à l'heure qu'il est, sait qui est Frédéric Nietzsche" commence l'auteur et il ajoute : "Il n'a pas fallu moins de trois ou quatre avertissements successifs pour attirer définitivement l'attention du public français sur ce nom, dont la consonance desharmonique, l'orthographe bizarre ont quelque chose de l'étrangeté indiscrète d'un nom de réclame" (p. 551). Explique le succès rapide de Nietzsche en Allemagne par le "besoin d'un guide nouveau" et ajoute : "Il était tout trouvé en Frédéric Nietzsche. Un style de pureté classique, une grande précision de pensée, une faculté singulière e retourner au profit de ses idées tout ce qui a été conçu et fait jusqu'à présent, voilà les qualités éminentes de ce philosophe moderne" (p. 552). Ajoute encore : "De plus, sa pensée prend sa source même dans les instincts fondamentaux de la race germanique" et rapporte que "Nietzsche, dans le mystère de sa réclusion, réclusion que ses disciples, ses amis et sa famille, faisaient longtemps passer pour une retraite temporaire et volontaire, nourrissait le culte du jeune Empereur, de cet autoritaire par excellence, dans lequel le philosophe entrevoyait son type de l'avenir, le Uebermensch, l'homme suprême, le héros, l'homme-dieu" (p. 552). Remarque que les réputation extraordinaire de Nietzsche en Allemagne est surtout propagée par de jeunes universitaires (p. 553).
Ecartant les écrits de la dernière période, s'intéresse aux œuvres "appartenant à la période brillante de l'auteur", se proposant de "fixer les grandes lignes de cette littérature décousue, sans enchaînement apparent" (p. 553). Remarque que "ses goûts de démolisseur ont valu à Nietzsche la réputation d'un nihiliste, d'un anarchiste" et ajoute : "Rien n'est moins exact cependant" (p. 559). Pose la question : "Peut-il faire grand mal à ceux qui le lisent et devons-nous regretter la traduction de ses œuvres qu'on nous promet?" et répond : "Nous pensons que on. L'excès même de sa doctrine lui enlève toute force convaincante. Il est impossible de croire en Nietzsche" (p. 562).
Conclut : "Nous ne prétendons pas que les idées de Nietzsche soient absolument nouvelles. (...) Mais nous sommes touchés directement par les doutes, les enthousiasmes et les déceptions de ce chercheur modernes, chez lequel nous retrouvons de nos propres préoccupations. Poussé par son tempérament, par les particularités de sa race, il est arrivé à des conclusions rétrogrades qui choquent tous nos sentiments humains modernes, et personne de nous ne suivra jusque dans ses conséquences extrêmes ce moraliste à rebours ; mais nous lui sommes reconnaissants de certaines perspectives curieuses, de détails pleins de charme qu'il nous a fait voir le long de la route" (p. 563).
JEANNINE B., « Sören Kierkegaard », in Nouvelle revue, tome 85, décembre 1893, p. 578-596.
Cite Nietzsche (p. 596)