Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940
(Laure Verbaere et Donato Longo)
Dramaturge et prolixe romancière française, Sibylle Riquetti de Mirabeau devient en 1867 la comtesse Roger de Martel de Janville. Elle est plus connue sous le nom de plume de Gyp qu'elle adopte en 1880. Nationaliste, boulangiste et violemment antisémite, elle est antidreyfusarde et participe à La Libre parole.
Si ses romans sont tombés dans l'oubli, elle est connue grâce sa place dans Ecce Homo:
"Je ne vois pas dans quel siècle de l’histoire on pourrait réunir, par un plus beau coup de filet, des psychologues si curieux et en même temps si délicats que dans le Paris actuel : je nomme au hasard — car leur nombre est considérable — MM. Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac, Anatole France, Jules Lemaître et pour en distinguer un autre, de ceux de la forte race, un vrai latin que j’aime particulièrement, Guy de Maupassant. Je préfère, entre nous soit dit, cette génération même à ses maîtres qui ont été corrompus par la philosophie allemande." (Nietzsche, Ecce homo)
GYP, "Les Flanchards. VI Les « déprimeuses »", in L'Excelsior, 3 août 1916, p. 11.
Extrait:
"LA BELLE MADAME TREILLE (à Mme d'Arradon). — Chère Madame, il faut absolument que vous m'accordiez une grâce que je suis venue vous demander...
Mme D'ARRADON. — Mais... si je peux vous être agréable, j'en serai ravie ?...
LA BELLE MADAME TREILLE. — Voici... Il s'agit de faire partie d'un comité féministe... (Mouvement de Mme d'Arradon) Oh !... Cela ne vous engagera à rien... C'est votre nom seulement que nous voulons avoir....
LA PETITE D'EGLANTINE. — Ah! bien !... Vous tombez à pic !... Maman a le féminisme en horreur...
LA BELLE MADAME TREILLE (à Mme d'Arradon). — Est-il possible ?....
Mme D'ARRADON. — Oh ! oui !... C'est possible...
LA BELLE MADAME TREILLE (ahurie). — Je n'en reviens pas... Une femme si intelligente ?... Ça ne vous étonne pas, Monsieur de Folligny?...
FOLLIGNY. — Oh! moi!... ça m'étonne d'autant moins que je suis, quant aux femmes et à leur situation passée, présente, et future, absolument dans les mêmes idées que Nietzsche...
LA BELLE MADAME TREILLE. — Ni... quoi ?...
FOLLIGNY. — Nietzsche... Frédéric Nietzsche... un Allemand que je gobe malgré tout infiniment...
LA BELLE MADAME TRÉILLE (aigre). Ah !... Et qu'est-ce qu'il dit, cet Allemand ?...
FOLLIGNY, — Il ne dit rien... parce qu'il est mort... mais il a défini, jadis, selon la nature et le sens commun, le rôle 'normal de la femme, d'une façon qui me satisfait pleinement...
Mme DESMARETS DE SAINT-GOND. — Peut-on, sans indiscrétion, connaître cette définition ?..,
FOLLIGNY. —- On le peut, sans indiscrétion aucune... Il a dit... ou, du moins, il a fait dire par Zarathoustra...
LA BELLE MADAME TREILLE. — Un autre Boche ?...
FOLLIGNY. — Si vous voulez !... Il a dit : « L'homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le délassement du guerrier, et tout le reste est folie... »
LA BELLE MADAME TREILLE. — C'est idiot !...
M. D'ARRADON (écartant violemment son paravent). — C'est admirable !... Voilà la première chose sensée que j'entends depuis que je suis là... (Un froid),
Mme MONTBARD (Elle regarde son mari qui entre avec son fils Edgar). — Le fait est que c'est assez juste... (A Mme Desmarets de Saint-Gond.) Vous m'aviez dit que nous avions des chances de trouver ici Madame Noyelle et sa charmante fille?... Elle me plairait tout à fait pour mon fils Edgar, cette petite...
FOLLIGNY. — Et comme la femme est élevée pour le délassement du guerrier... ça irait tout seul...
Mme MONTBARD. — N'est-ce pas ?...
FOLLIGNY (ahuri). — C'est qu'elle le croit !..."
Le roman est publié en 1917.
GYP, Les Flanchards, Paris, Arthème Fayard et Cie, 1917.
Publié en feuilleton dans L'Excelsior en 1916.