Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940
(Laure Verbaere et Donato Longo)
Historien français, professeur d'université, Jean Gaudefroy-Demombynes est le fils de Maurice Gaudrefroy-Demombynes.
GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean, "Hitler ou la faillite du surhomme", in Mercure de France, tome 237, 1er août 1932, p. 513-529.
GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean, "Thomas Mann", in L'Esprit français, 10 avril 1933, p. 405-410. [L.V.]
Contient: "Thomas Mann et Nietzsche" (p. 407-409)
D'autres évocations de Nietzsche dans la suite, publiée dans le numéro de mai 1933.
GAUDEFROY-DEMOMBYNES Jean, "Freud, source mystique du romantisme hitlérien", in Mercure de France, 15 juillet 1938, p. 478-483.
Note qu'avec Nietzsche et avant Hitler, "Freud a dénoncé avec force la prétendue « décadence née de notre culture, l’action dégradante que celle-ci exerce sur la personnalité, en opposant des entraves à son libre épanouissement, en lui imposant des refoulements nombreux et impérieux ». Plus une civilisation est cultivée, dit Freud, plus se révèle la diminution des personnalités qui y participent. L’homme civilisé est tronqué, rapetissé, parce qu’il doit se soumettre en esclave à la tyrannie de la réalité (du royaume du jour, disaient Novalis et Wagner; de la raison, disent les Français)". (p. 481)
Et: "Révolte de Luther contre l’Eglise, révolte de Herder et de Lessing contre la littérature classique française, révolte de Fichte (Discours à la nation allemande), révolte de Hitler contre le système de Weimar, contre la raison, contre la culture, telle est la tradition romantique, la tradition allemande par excellence. C’est la révolte contre toute discipline intérieure de l’homme de la nature selon Rousseau, de la « blonde Bestie » selon Nietzsche.
Un Français aura toujours quelque peine à comprendre cette primauté donnée aux forces irrationnelles et ce principe du bon plaisir. Il croit plutôt que c’est précisément en restreignant en nous le principe du bon plaisir que l’homme est parvenu à quelque personnalité, en dominant sa « nature » qu’il est parvenu à quelque indépendance vis-à-vis de la Nature, en cessant d’être une « blonde Bestie » qu’il mérite le nom d’homme.
Un Français aura toujours peine à comprendre, — dussent les Allemands le qualifier de conservateur, de rétrograde, — que Freud, après Nietzsche, taxe notre conscience morale de « mauvaise conscience » et la considère comme un état morbide sous le carcan de la société. Les Français croient en général à la primauté de la raison sur l’instinct, et ils croient au progrès, au développement de l’esprit humain dans l’avenir. Ils conçoivent mal la venue d’une société paradisiaque où les hommes seraient affranchis des refoulements de la morale; âge d’or reproduisant celui des origines humaines, le paradis de l’ère pastorale selon Herder, la fausse Grèce édénique de Hölderlin, — cette utopie spécifiquement romantique — âge d’or où régnerait, selon Freud, le bon plaisir dans les rapports sexuels (autrement dit: la force brutale).
Un Français éprouve quelques méfiances à l’égard des Surhommes romantiques, aspirant à briser les cadres de la vie sociale et de la morale; à l’égard du peuple de héros dont Hitler fait manœuvrer les masses vociférant dans un délire sacré. Malgré les séductions de cet appel au retour à la nature et au libre épanouissement de la personnalité, malgré l’attrait, pour notre orgueil, de la « morale des Maîtres » avec son mysticisme de la virilité, de la dureté, de la violence, nous ne saurions diviniser ainsi l’instinct, l’irrationnel et l’inconscient." (p. 481-482)