Bibliographie inédite des publications françaises sur Nietzsche 1868-1940
(Laure Verbaere et Donato Longo)
Lire Mathias Yehoshua, "Paul Bourget, écrivain engagé", in Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°45, janvier-mars 1995. p. 14-29.
Voir le numéro sur Paul Bourget de Transversalités 2023/2, n°165.
Voir le Fonds Paul Bourget
Schéma: les relations entre Nietzsche et Paul Bourget
Voir sa réponse à l'enquête de 1908 "Avons-nous une Maladie de la Volonté?", in Le Matin, 15 juin 1908, p. 2 (partiellement reproduite dans La Croix du 16 juin 1908).
BOURGET Paul, Le disciple, Paris, Nelson, 1910.
Réédition avec une introduction de Teodor de Wyzewa qui raconte, pour les hommes de lettres de sa génération, la double surprise de l'époque (mi 1889): la thèse elle-même et que Paul Bourget en soit l'auteur:
"(...) en échange de la tendre et fidèle admiration littéraire qu'avait trouvée chez nous M. Paul Bourget, entendions-nous qu'il partageât toutes les opinions qui nous étaient chères, et au premier rang desquelles figurait une foi absolue dans la supériorité de l'œuvre d'art sur le reste des choses. La doctrine de ce que nos devanciers avaient appelé « l'art pour l'art » avait eu beau changer de nom, au cours des années : elle continuait à nous apparaître comme la première, l'unique vérité. Sans aller peut-être jusqu'à approuver les joyeux paradoxes d'immoralité que quelques-uns d'entre nous s'amusaient, dès ce temps, à développer sur la scène ou dans le roman, — préludant par là au triomphe prochain de la littérature « rosse » , — nous ne souffrions pas que l'artiste, et en particulier l'homme de lettres, eût jamais à se préoccuper de la portée morale de son œuvre ni de ses conséquences dans la vie pratique. Cette vie pratique, d'ailleurs, nous inspirait unanimement le plus parfait mépris. Nous l'entrevoyions si bas au-dessous de notre horizon accoutumé que l'idée ne nous serait même pas venue d'une influence possible de la « pensée » sur elle : sauf à considérer une telle influence, si
d'aventure quelque preuve certaine nous l'avait révélée, comme un simple accident dénué d'importance, et tout à fait indigne de nous émouvoir. Nous estimions que le seul devoir du philosophe et du poète, de l'auteur dramatique et du romancier, était de tâcher à exprimer pleinement ses idées, ses sentiments, les résultats de son observation ou de sa fantaisie, sans se troubler des vaines et stupides alarmes de l'aveugle troupeau des « moralistes » de toute provenance et de tout habit. Ignorant encore, ou du moins ne connaissant que d'une manière assez vague, le défi lancé par l'infortuné Nietzsche à l'antique distinction du bien et du mal, déjà nous étions prêts à lui faire l'accueil qu'avaient reçu de nous, avant lui, les théories «amorales» de Taine et de Renan ou cette captivante doctrine du « culte du moi » qui venait alors de nous être prêchée par M. Barrès avec un mélange délicieux de passion poétique et de
détachement. Tout cela nous plaisait surtout parce que nous y découvrions autant de hardis et heureux efforts à élargir l'abime creusé depuis longtemps déjà entre la libre vie de l'esprit, telle que nous nous enorgueillissions d'être admis à la vivre, et les médiocres « contingences » de la vie réelle. (p. 8-9).
Cette génération croyait que Paul Bourget partageait "cette fière indifférence à l'égard d'une réalité bassement « bourgeoise » (...). Or, voici que dans l'été de 1889, précisément au lendemain de sa piquante Physiologie de l'Amour moderne, M. Bourget nous donnait un roman qui, sans l'ombre de réserve, se mettait au service d'une doctrine « morale » , et proclamait ouvertement l'étroite liaison intime de la vie de l'esprit et, de la vie réelle, un roman où le philosophe, l'artiste, étaient solennellement accusés d'exercer une action per-
nicieuse sur de jeunes cerveaux, un roman où ces êtres que nous supposions d'une race surnaturelle étaient solennellement déclarés responsables de toute mauvaise action commise, — à leur insu, parmi l'obscure foule anonyme s'agitant à leurs pieds, sous
l'inspiration de l'une de leurs idées ou de l'un de leurs rêves ! Dans un récit d'une vérité et d'une puissance tragique singulières, laissant bien loin dernière soi tous les Essais de Psychologie et toutes les Cruelles Enigmes, voici que le poète d'Edel attaquait de front l'unique opinion qui nous tînt au coeur : notre vaniteuse conscience d'habiter un monde distinct de celui du « bourgeois », et supérieur
à lui. Impossible d'imaginer notre surprise, ni tout ce que nous y avons mêlé d'irritation sourde, sous l'apparent dédain avec lequel nous affections de railler cet étrange caprice passager du charmant et sceptique analyste des passions mondaines. M. Bourget se
fût-il même avisé de nous offrir, au lieu de ce malencontreux Disciple, une grosse farce « naturaliste » du genre de Pot-bouille ou de l'immortel A Vau-l'eau, combien le plus « délicat » d'entre nous aurait eu moins de peine à lui pardonner !
Le fait est que, se produisant à cette date, — qui était aussi, sauf erreur, celle de l'Homme Libre de M. Barrès et de la Thais de M. Anatole France, celle des premières études françaises sur la personne et l'œuvre du créateur de Zarathoustra, — le magnifique
roman qu'on va lire a été un phénomène infiniment imprévu et curieux de notre histoire littéraire".
Parle de révolte chez les lecteurs de cette génération, de révolution dans l'oeuvre de Paul Bourget.
Note que vingt ans plus tard, la thèse du Disciple est devenue évidente:
"Est-ce-que nous ne sentons pas que toute notre conception présente de nos devoirs comme de nos droits s'est principalement formée en nous sous l'empire de nos émotions esthétiques ou intellectuelles, et que l'action de celles-ci sur nous a été d'autant plus intense qu'elles nous sont apparues entourées de plus de beauté,—avivées par l'exquise musique d'une strophe de Verlaine ou de Baudelaire, enflammées par l'élan fiévreux de la pensée et du rythme dans un chapitre de Nietzsche, illuminées de l'inoubliable sourire que nous voyions flotter doucement autour des lèvres amères de l'auteur de l'Antechrist et de l'Abbesse de Jouarre?"
La thèse est devenue banale, et c'est grâce au Disciple de Paul Bourget.
BOURGET Paul, Le Tribun. Chronique de 1911, Paris, Plon, 1912
Pièce en 3 actes, avec une lettre à Charles Maurras de 50 pages en guise de préface: hommage à ses idées et défense de sa pièce accusée d'être une pièce à thèse. Courte présentation du personnage principal Portal, partisan de l'individualisme (p. XLVII-XLIX).
C'est à la fois un socialiste, professeur de philosophie, nietzschéen et nihiliste, président du conseil des ministre d'après Ernest La Jeunesse, Des soirs, des gens, des choses... (1909-1911), Paris, Maurice de Brunoff, 1914. Sur la pièce de Paul Bourget, Le Tribun (p. 249-252).
Nietzsche est nommément cité une fois par Georges, le fils de Portal, face au journaliste Bourdelot:
GEORGES
"Il n'y a qu'un seul philosophe de notre temps qui ait eu le courage d'aller jusqu'au bout de vos doctrines. Aussi n'en voulez-vous
pas plus qu'il ne voulait de vous, d'ailleurs. C'est Nietzsche.
BOURDELOT
Avec son surhomme? C'est le plus beau pseudonyme de l'apache.
GEORGES
Pourquoi pas?" (p. 29-30)
La pièce a été représentée au Théâtre du Vaudeville (Paris), le 15 mars 1911 sous la direction de M. Porel.
Elle est reprise en 1924 au Théâtre Edouard VII (Paris)
BOURGET Paul, "De Kant et de Goethe", in L'Echo de Paris, 29 novembre 1914, p. 1-2.
De la responsabilité de Kant et de Goethe dans la guerre. Nietzsche n'est pas nommé mais évoqué à la fin avec le "surhomme".
"(...) Les succès extraordinaires de 1866 et de 1870, l'hégémonie exercée sans conteste pendant quarante ans et le prodigieux développement industriel et économique qui a suivi, telles sont les causes les plus probables de cet accès de mégalomanie dont nous la voyons atteinte. Ce n'est pas la folie des grandeurs des paralytiques généraux, qui implique une déchéance cellulaire. C'est plutôt celle des hypomaniaques, dont l'activité, l'abondance d'idées, la généralité quelquefois déconcerte. Ils semblent ne plus connaître la fatigue. A peine s'ils mangent. Ils ne dorment pas. Vous les prendriez pour des surhommes, et ce sont des anormaux, le plus souvent à la veille d'effroyables catastrophes. (...) Le travail accompli sur elle par les doctrines de ses grands philosophes, au siècle dernier, l'a laissée moins capable de résister au vertige. Il fallait que la remarque fût faite par des observateurs autorisés. Remercions les maîtres de l'Institut Catholique de Paris d'avoir rempli ce devoir et montré ainsi l'étendue entière du péril allemand."